mercredi 29 juin 2016

La foule contre le peuple

Dans sa partie contre la démocratie 
le Nouvel Ordre Mondial 
sort le joker de l'ochlocratie

Les deux derniers siècles, ont vu  l'Histoire humaine s’accélérer tant dans ses découvertes que ses mutations, partageant toutes un sens de plus en plus illimité de la démesure. Depuis les soulèvements populaires du XIXème siècle jusqu'aux révolutions colorées du XXIème siècle naissant, en passant par les manifestations syndicales du XXème siècle, la foule est bel et bien devenue un élément incontournable de la vie politique et sociale du Monde moderne. 

Et l'histoire récente nous confirme qu'une masse d'individus réunis, sans qu'elle soit forcément représentative du peuple dont elle est issue, est capable par ses caractéristiques spécifiques et son identité collective de créer une dynamique même éphémère qui peut influencer la gouvernance d'un pays jusqu'à la bousculer.

Gustave Le Bon en 1929
En 1895, Gustave le Bon (1841-1931) publiait "Psychologie des foules", un essai allait tenir une place majeure dans son analyse anthropologique de la société moderne naissante. Médecin, anthropologue, ce visionnaire a, entre autres sujets d'étude, analysé cette foule qu'il considérait comme une entité psychologique particulière "peu apte au raisonnement, mais au contraire très apte à l'action". 

Gustave le Bon, dont les travaux font toujours référence, avait démontré à travers les caractéristiques de cet "être éphémère" les possibilités offertes à des meneurs, qu'ils soient révolutionnaires ou légalistes de transformer une masse d'individus, dont les sens critiques individuels sont annihilés par une passion collective incontrôlée, en arme redoutable.

La conséquence principale de la dynamique de foule est de provoquer une mutation psychologique des individus la composant (à l'exception des meneurs) Gustave Le Bon avait défini les 3 principales caractéristiques d'un individu en foule :

  • L'irresponsabilité
  • La « contagion »
  • La suggestibilité

Ainsi le phénomène de foule provoque chez l'individu vanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en actes les idées suggérées, tels sont les principaux caractères de l'individu en foule. Il n'est plus lui-même, il est devenu un automate que sa volonté ne guide plus". 

Et Gustave le Bon prolongera son analyse par une étude de la personnalité du "meneur" ou les moyens de manipuler l'opinion. Sur ce dernier point et bien qu'ayant disparu bien avant que la "société du spectacle" n'atteigne son apogée avec la télévision, ce visionnaire en 1924 observait déjà qu' «avec les moyens actuels de publicité, une opinion ou une doctrine peut être lancée comme un produit pharmaceutique quelconque. »

Voilà pourquoi "Psychologie des foules" est bien plus qu'un simple essai anthropologique, c'est un manuel d'emploi, à disposition du révolutionnaire, mais aussi du tyran, et l'histoire récente confirmant pleinement la justesse des analyses de Gustave le Bon sur cet individu social collectif...


Dans le passé, si les révolutions, s'appuyant sur la dynamique des foules ont su renverser des pouvoirs politique, force est de constater que la bourgeoisie quant à elle a non seulement toujours survécu à ces bouleversements politiques, mais souvent a su, peu ou prou, en tirer avantage et même se hisser plus haut vers les sommets de la gouvernance. 
Que ce soit les révolutions, américaine, française ou russe, les révoltes comme mai 68 par exemple ou plus récemment les insurrections comme celle du Maïdan, force est de constater qu’apparaissent toujours des décombres provoqués des oligarchies renforcées dont les intérêts sont à l'opposé des images portées par les foules...

La ploutocratie libérale qui depuis 3 siècles cherche à prendre la direction d'une gouvernance mondiale à travers ses réseaux commerciaux et politiques est aujourd'hui menacé par le réveil des peuples qui prennent de plus en plus conscience de la réalité d'une dictature cachée sous le déguisement de fausses démocraties... 


La fin de l'usurpation de l'Union Européenne

L'actualité de l'Union Européenne, cet appareil technocratique organisé pour servir les intérêts de la finance et asservir les peuples, est l'illustration même de cette dictature cachée et de la rébellion grandissante qu'elle fait naître en Europe...


Le 23 juin dernier la Royaume Uni par voix référendaire en décidant de quitter l'Union Européenne déclenchait un véritable séisme politique, économique et social au sein du vieux Continent. Ce Brexit qui est considéré par tous comme un événement majeur de l'histoire politique européenne n'est pourtant pas le premier exercice démocratique où les peuples refusent la camisole de cette Union Européenne liberticide :

Un petit rappel des refus des peuples européens de se soumettre à l'organisation supra nationale de l'UE :

- En 1992, le Danemark refuse à 51.7% le traité de Maastricht : obligé de revoter !
- En 2000, le Danemark refuse à 53.2% de rejoindre la zone €uro : accepté !
- En 2001, l'Irlande refuse à 53.90% le traité de Nice : obligée de revoter !
- En 2003, la Suéde refuse à 56.10% de rejoindre la zone €uro : accepté !
- En 2005, la France refuse à 54.90% la constitution européenne : ignorée !
- En 2005, les Pays Bas refusent à 61.5%  la constitution européenne : ignorés !
- En 2008, l'Irlande refuse à à 53.20% le traité de Lisbonne : obligée de revoter !
- En 2015, la Grèce refuse à 61.3% le plan de redressement : ignorée !
- En 2016, les Pays Bas refusent à 61,1 % l’accord d’association entre l'UE et l’Ukraine...

Qu'en sera t-il pour le Royaume uni qui à 51.9 % veut quitter l'Union Européenne ?

Dans cette résistance des peuples à la tyrannie technocratique d'une dictature politique servant les intérêts militaro-industriels étasunien, le Brexit est certainement la victoire la plus importante menée jusqu'à ce jour pour la libération des peuples asservis. 

Encore faut-il maintenant comme au rugby valider et transformer l'essai !


Sauver les colonies européennes à n'importe quel prix !

Même si hors de l'Union Européenne, le Royaume Uni restera lié au système par des accords commerciaux, des partenariats politiques et des alliances militaires, le Brexit reste une menace majeure pour la ploutocratie internationale, simplement par la menace d'un effet domino des autres pays européens dont on vient de voir qu'ils ont déjà poussé sur la porte de sortie.

Voilà pourquoi il faut rester sur ses gardes car l’imperium mondialiste, à la fois paniqué et furieux a mobilisé toutes ses forces pour rejeter cette décision du peuple, en mobilisant contre lui tout l'arsenal de sa propagande de guerre Mais comme les vecteurs médiatiques classiques n'ont pas fonctionné lors de la campagne référendaire, le Nouvel Ordre Mondial, fort de l'expérience de ses révolutions colorées en Europe de l'Est, au Maghreb, ou au Proche Orient, a décidé de lancer la foule contre le peuple...

Et le cynisme de ce pouvoir financier qui veut sauver ses colonies européennes, c'est de tout mettre en oeuvre pour maintenir le Royaume Uni dans le troupeau des consommateurs asservis tout en profitant de choc politique pour alimenter une stratégie du chaos basé sur la peur et le choc des communautés. 

Il est impossible ce Nouvel Ordre Mondial n'est pas envisagé ce résultat aux enjeux immenses et donc prévu en réaction son détournement voire son exploitation géopolitique et financière !

C'est ainsi que, pendant que certains marchés financiers internationaux installés à Londres imaginent comment migrer de la City vers Francfort (tiens tiens !), le système organise la peur en annonçant au peuple britannique l'arrivée d'un chaos punisseur à côté duquel les 10 plaies d'Egypte apparaissent comme des divertissements enfantins..

"Les foules ne connaissant que les sentiments simples et extrêmes ; les opinions, idées et croyances qui leur sont suggérées sont acceptées ou rejetées par elles en bloc, et considérées comme des vérités absolues ou des erreurs
non moins absolues. Il en est toujours ainsi des croyances déterminées par voie de suggestion, au lieu d'avoir été engendrées par voie de raisonnement... N'ayant aucun doute sur ce qui est vérité ou erreur et ayant d'autre part la
notion claire de sa force, la foule est aussi autoritaire qu’intolérante. L'individu peut supporter la contradiction et la discussion, la foule ne les supportent jamais"  -  Gustave le Bon, "Psychologie des foules"

L'ère des foules passionnelles et de l'ochlocratie raisonnée

Aujourd'hui, le plus important pour le système pris à la gorge, est qu'il lui faut maintenant manipuler et mobiliser les foules pour passer des idées aux actes. 

C'est ainsi par exemple que, sur fond de catastrophisme économique et social, le dossier des migrants s'invite sur l'avant scène du débat, que les analystes insistent sur les clivages générationnels des votants, etc... Les meneurs anti Brexit jouant avec les leviers émotionnels ont alors juste à mobiliser dans la rue les immigrés et la jeunesse qui sont présentées par les médias acquises au système comme les victimes d'un vote réactionnaire.

Les foules des révolutions colorées on l'a bien observé ces dernières années n'attaquent pas seulement des régimes politiques diabolisés par un enfumage médiatique, mais elles s'opposent surtout violemment à la volonté des peuples qui les ont porté au pouvoir comme récemment en Ukraine et en Syrie.

C'est la stratégie d'un chaos organisé où des intérêts, souvent exogènes dressent la foule contre le peuple. Cette Ochlocratie,  « gouvernement par la foule, la multitude, la populace » n'est pas seulement un faux-ami de la Démocratie « gouvernement par le peuple », elle en est même une dégénérescence qui peut devenir son pire ennemi !

Ainsi outre-Manche, quand l'enjeu politique et social a provoqué hier un raisonnement favorable aux partisans du Brexit, les européistes lui opposent aujourd'hui un argumentaire sociétal et démagogue pour exciter les passions et manipuler ainsi quelques milliers de manifestants dans la rue contre les millions d'électeurs des bureaux de vote, à l'image d'un bélier dirigé contre un château.

Les prochaines semaines et surtout la rentrée des vacances vont être cruciales non seulement pour le Royaume Uni mais également pour tous les peuples européens auxquels cette monarchie constitutionnelle vient de donner un exemple de vraie démocratie, et qui a besoin de leur ralliement pour défendre la volonté de son peuple...  
Car il est probable, dans le même esprit que ce qui se passe en France autour de la Loi El Khomri, que le pouvoir mondialiste cherche à imposer sa volonté par la ruse ou la force et maintenir le peuple britannique dans la servitude socio-économique. 

Qu'ils soient djihadistes en Syrie, paramilitaires en Ukraine, manifestants anti Brexit en Angleterre, et même forces de l'ordre en France, ces groupuscules ne sont que des foules diverses suggestionnés et au service d'un même meneur et qui méprisent les peuples qu'elles prétendent représenter et servir.

Nous devrions donc relire Gustave le Bon pour mieux comprendre et combattre l'ennemi des peuples, car ses travaux, s'ils ont inspiré nombre de théoriciens politiques et militaires, ont également guidé les praticiens du totalitarisme comme Mussolini, Hitler, Staline et Mao, sans parler des néo-conservateurs actuels qui le critiquent tout en abusant de ces recettes jusqu'à l'indigestion...

Erwan Castel, volontaire français en Novorossiya

"...Les peuples toujours idolâtrent la merde, que ce soit en musique, en peinture, en phrases, à la guerre ou sur les tréteaux. L'imposture est la déesse des foules. "

Louis-Ferdinand Céline


Sources de l'article :

Le livre de Gustave Le Bon en format PDF, le lien ici : "Psychologie des foules"


Article partagé 

Riposte laïque


mardi 28 juin 2016

Comment contenir la Chine ?

Guerres hybrides (13)

Source, le lien ici : Le Saker francophone


Par Andrew Korybko (USA) – Le 27 mai 2016 – Source Oriental Review

La Chine est la seule grande puissance avec les moyens économiques pour défier les États-Unis partout dans le monde. En tant que telles, ces qualités se complètent parfaitement avec les capacités militaires de la Russie en aidant les deux pôles civilisationnels à forger ensemble un ordre mondial multipolaire. La manifestation de leur vision globale commune et le cadre dans lequel elles coopèrent est le partenariat stratégique russo-chinois, et à cause de la proximité intime de Pékin avec Moscou, c’est aussi la cible des déstabilisations par les États-Unis par tous les moyens, au travers de proxy. La stratégie de Washington ne se limite pas uniquement à entraver des projets conjoints transnationaux multipolaires (aussi ambitieux que soit déjà ce but), mais aussi à contenir physiquement la Chine dans sa propre région d’origine, semblable à bien des égards à ce qui a été tenté contre la Russie depuis la fin de la guerre froide.


Ces deux stratégies se croisent dans une large mesure et ont un point commun majeur entre elles, dans le sens où elles peuvent toutes deux être favorisées par les guerres hybrides instrumentalisées par les Américains. Cette partie explore l’applicabilité de cette méthode pour l’ASEAN, la cour stratégique et le ventre mou de la Chine. À bien des égards, l’ASEAN est à la Chine ce que l’Asie centrale est à la Russie, mais il peut être fortement soutenu que l’ASEAN est d’une importance économique beaucoup plus critique pour la Chine que l’Asie centrale ne le sera jamais pour la Russie (bien que les deux régions aient une valeur stratégique égale, par rapport à chaque grande puissance respectivement). La première partie cartographiera les trois pays de l’ASEAN les plus vulnérables aux guerres hybrides (le Myanmar, le Laos et la Thaïlande), mais leur importance géopolitique et l’attrait que les États-Unis auraient à cibler spécifiquement ces États ne peuvent être pleinement compris si on l’explique hors du cadre de la région plus large qu’est l’ASEAN.

Pour cette raison, j’intégrerai dans les premières parties de cette étude géopolitique un focus sur l’ASEAN dans son ensemble, en expliquant sa stratégique saillante en général, puis en décrivant la façon dont les États-Unis envisagent de militariser par proxy le bloc des rivalités macro-régionales contre la Chine. Dans le même ordre d’idée, il est également pertinent de détailler les grands projets stratégiques de la Chine pour répondre à cet encerclement agressif et à la militarisation unipolaire des routes navigables dans les eaux internationales dont dépend une grande partie de sa croissance économique. Cela amène naturellement à réfléchir de manière approfondie sur les raisons pour lesquelles la Chine a choisi le Myanmar, le Laos et la Thaïlande comme pays d’accueil pour ses projets multipolaires conjoints transnationaux et comment ceux-ci sont envisagés comme des contre-mesures appropriées, afin d’éluder le piège que les États-Unis ont posé dans le Sud de la Mer de Chine. Les vulnérabilités socio-politiques de tous les pays de l’ASEAN seront ensuite abordées, avant que la recherche ne se penche en profondeur sur les études des cas thaïlandais et du Myanmar. Ensuite, ces deux scénarios seront comparés entre eux pour mettre en évidence la différence entre leurs vraisemblances et leur impact stratégique global respectifs.


À la croisée des chemins de l’économie mondiale

La solide croissance de l’ASEAN au cours des dernières décennies en a fait un partenaire privilégié pour beaucoup, et le bloc économique a conclu plusieurs accords de libre-échange (ALE) de haut niveau ces deux dernières années. À la fin 2015, elle a conclu des ALE bilatéraux avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, la Chine, l’Inde, le Japon et la Corée du Sud, pour l’essentiel, ce qui en fait le carrefour économique formel entre ces grandes économies mondiales. En outre, elle est actuellement engagée dans des négociations de libre-échange avec l’UE et l’Union eurasienne, qui, s’ils sont finalement scellés, donneraient à l’ASEAN des droits de libre-échange avec la quasi-totalité du supercontinent, à l’exception du Moyen-Orient et d’une petite poignée d’autres pays. Avec la convergence de tant d’intérêts économiques autour de l’ASEAN, ce n’est qu’une question de temps avant que cette série d’accords bilatéraux ne soit élargie dans un cadre multilatéral, qui intégrerait progressivement chacune des parties.



Un tel arrangement représenterait une victoire majeure pour l’Eurasie et le monde multipolaire, parce qu’il lierait chacune des grandes puissances ensemble et les rendrait collectivement plus interdépendantes les unes les autres que chacune d’elles individuellement ne le serait jamais avec les États-Unis. C’est évidemment une vision à long terme et ce ne sont pas des choses qui peuvent être mise en place en quelques années, mais le chemin sera pavé encore un peu plus, si l’ASEAN parvient à ancrer des accords de libre-échange avec l’UE et l’Union eurasienne. Les ALE de plus en plus imbriqués que ces partenaires économiques respectifs signent entre eux seront inévitablement tous rapprochés avec le temps, malgré les différences politiques et structurelles  entre certains d’entre eux, tels que le coup de froid imposé actuellement par les Américains dans les relations entre l’UE et l’Union eurasienne.


Le TTIP piétine tout

Si on lui donnait la chance de se comporter librement, l’UE aurait probablement intensifié ses relations bilatérales avec l’Union eurasienne, comme en témoigne, fin novembre  2015, la sensibilisation de Junker à l’égard de son bloc. Mais la grande stratégie des États-Unis a toujours été basée sur le maintien des deux entités divisées, d’où la crise ukrainienne fabriquée, puis la nouvelle guerre froide. Si une percée dans les relations bilatérales se produisait – peut-être en raison de changements structurels que le Balkan Stream et la route de la soie des Balkans généreraient à l’intérieur de l’UE si l’un d’entre eux était terminé avec succès –,  il est probable que le chevauchement de leurs intérêts économiques dans l’ASEAN (négocié indépendamment jusqu’ici) pourrait représenter le catalyseur idéal pour se regrouper et formaliser un cadre économique plus large et plus inclusif entre tous les acteurs. Le raisonnement sous-jacent est que la détérioration actuelle des relations UE-Union eurasienne attribuée aux Américains est le seul obstacle structurel non naturel empêchant tous les blocs commerciaux du supercontinent de coopérer à l’échelle suggérée ci-dessus.

Du point de vue stratégique américain, cependant, cela représenterait l’échec ultime de leur politique de division pour régner en Eurasie, et c’est pour cette raison institutionnelle que les États-Unis sont si déterminés à poursuivre le partenariat commercial et l’investissement transatlantique (TTIP) avec l’UE. Dans le cas où cette proposition néo-impérialiste entrerait en vigueur, les États-Unis auraient le rôle dominant pour décider si leur partenaire novice qu’est l’UE est autorisé à poursuivre ses négociations de libre-échange en cours avec le Japon et l’Inde. Plus que probablement, ces négociations seraient indéfiniment gelées, alors que ces processus sont déjà au point mort, afin de consolider le contrôle économique des USA sur le bloc. Ce n’est qu’après l’exercice d’un contrôle incontestable sur l’UE, que Washington permettra aux pourparlers d’avancer. A ce moment-là, l’objectif sera de lier le TTIP et le TPP (qui sera élargi prochainement, mais dont la composante asiatique sera dirigée par le Japon)  pour faire des États-Unis l’acteur institutionnel essentiel entre eux, puis compléter la domination unipolaire enveloppant économiquement l’Eurasie en amenant l’Inde dans le mélange à un certain moment.

Cette stratégie est ordonnée par les États-Unis, qui utilisent le battage médiatique autour de la nouvelle guerre froide qu’ils ont créée pour effrayer leurs partenaires et les amener à accepter le TTIP et le TPP sur la base de la perception fabriquée qu’ils ont besoin de contenir la Russie et la Chine, respectivement. Dans le scénario ci-dessus, si les États-Unis ne parviennent pas à faire avancer le TTIP, l’UE s’alignera de façon indépendante avec l’une de ces grandes économies asiatiques (gageons qu’elle entamerait des négociations de libre-échange avec la Chine), et les États-Unis pourraient perdre rapidement leur prééminence actuelle sur l’économie de l’UE. En très peu de temps, Bruxelles pourrait finalement arriver à la conclusion à laquelle tout le monde autour du globe est déjà arrivé et réaliser que l’avenir de l’économie mondiale repose sur l’Est et non sur l’Occident. Elle entamerait alors des relations commerciales plus larges et plus libres avec ses autres partenaires potentiels. Cela passerait bien sûr par l’inclusion de la Russie et de l’Union eurasienne. Ces deux économies convergeant déjà l’une vers l’autre (se rappeler que seuls des obstacles politiques attribués aux américains retardent l’échéance), il est prévisible qu’elles  coordonneraient leurs ALE respectifs avec l’ASEAN comme une dernière étape avant de conclure des accords similaires entre elles.


Plans de secours multilatéraux

Aussi positive que soit l’image dépeinte dans la section ci-dessus, elle ne se concrétisera probablement pas pendant au moins la décennie à venir, le cas échéant, quand on voit comment les États-Unis sont sérieux à garder active cette rivalité de Nouvelle Guerre froide. Que ce soit à travers les rouages institutionnels du TTIP ou à l’extérieur de celui-ci, par l’intermédiaire de mesures sans scrupules si ledit accord n’était pas prêt à temps, les États-Unis feront tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher l’UE de développer des relations économiques indépendantes avec l’Union eurasienne, la Chine et l’ASEAN. L’UE pourrait éventuellement être autorisée à approfondir ses relations avec le Japon et l’Inde (par la grande stratégie unipolaire décrite précédemment), mais même cela est discutable, à moins que les USA n’aient l’assurance de garder assez de contrôle sur le bloc après l’obtention de ces accords potentiels. Ils n’auront sans doute pas confiance pour laisser faire, à moins de contrôler l’UE formellement par le TTIP, rendant ainsi ces zones de libre-échange potentielles peu probables, du moins à court et moyen terme, sauf bien sûr changements géopolitiques inattendus. Pour une grande part, l’UE peut donc être écartée en toute sécurité des discussions sérieuses sur les zones de libre-échange intra-eurasiennes, mais cela ne signifie pas que ces rêves doivent être découragés simplement parce que le bloc ne peut raisonnablement pas y prendre part pour un certain temps (le cas échéant).


RCEP et FTAAP

Pour compenser la non-participation attendue de l’Union eurasiatique à l’intérieur des cadres économiques multipolaires envisagés, quelques propositions modifiées ont été faites. Deux des plus promues sont le Partenariat régional global économique (RCEP) et la zone de libre-échange de l’Asie-Pacifique (FTAAP), tous deux activement soutenus par la Chine. Le RCEP est la formalisation d’un ALE multilatéral entre l’ASEAN et chacun de ses partenaires de libre-échange déjà existants (Australie, Chine, Inde, Japon, Nouvelle-Zélande et Corée du Sud). Le FTAAP, quant à lui, pousse les choses beaucoup plus loin et propose une grandiose zone de libre-échange entre tous les pays qui constituent le forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC). Donc y compris la Russie, les États-Unis et quelques autres pays de l’hémisphère occidental, mais au détriment d’un accord de libre échange complet du commerce avec l’ASEAN dans son ensemble (dont le Myanmar, le Laos et le Cambodge, qui ne sont pas membres de l’APEC).

Il est néanmoins significatif que la plupart des pays au sein du bloc participeraient à ce cadre, ce qui souligne à quel point les économies de l’ASEAN sont favorables à des offres de libre-échange trans-régionales de nos jours. Dans le même temps, cependant, l’inclusion des États-Unis pourrait grandement miner la flexibilité multipolaire du groupement à venir et le transformer plutôt en une organisation économique apolitique, qui ne pourrait être utilisée en aucune manière pour affaiblir la vision unipolaire des États-Unis. Il est probable que la Russie et la Chine ne soutiennent cette idée que dans le but de marquer des points politiques, en l’opposant aux plans exclusifs du TPP des USA qui menacent de saper les connexions commerciales existantes des deux grandes puissances et les possibilités futures avec les États concernés.


Vision de la Russie vis-à-vis du GEFTA

La dernière proposition pour créer un bloc commercial trans-régional multilatéral est venue de Russie et a été annoncée lors du discours du président Poutine à l’Assemblée fédérale le 4 décembre 2015. Le dirigeant russe a fait connaître l’intention de son pays de former un partenariat économique entre l’Union eurasienne, les États de l’ASEAN et de l’OCS (y compris les deux membres pressentis, l’Inde et le Pakistan), en faisant valoir que la nouvelle organisation «constitue près d’un tiers de l’économie mondiale, en termes de parité de pouvoir d’achat». C’est la plus réaliste des trois suggestions et la plus susceptible d’être mise en œuvre dans la pratique. La Chine a déjà un ALE avec le Pakistan (la fermeture de l’intégration eurasienne), et l’Union eurasienne étudie la possibilité de sceller des accords similaires avec l’Inde et le candidat officiel à l’OCS, l’Iran. À noter que la Russie et la Chine sont également engagées dans un partenariat trilatéral avec la Mongolie, qui pourrait aussi devenir de manière prévisible une zone de libre-échange à l’avenir.

En supposant que Moscou réussisse à atteindre ces objectifs (et il n’y a aucune raison d’en douter pour le moment), puis unisse l’Union eurasienne et l’OCS dans un partenariat économique qui serait un ajustement naturel, l’ASEAN offrirait une touche complémentaire parfaite qui pourrait stimuler économiquement tous les membres. En outre, l’inclusion de l’Inde et du Pakistan dans le cadre discuté entraînerait probablement le reste de l’Association sud-asiatique de coopération régionale (SAARC, qui a sa propre zone de libre-échange interne de commerce) a le rejoindre, ce qui pousserait l’intégration des partenaires de cette organisation, l’Afghanistan, le Bangladesh, le Bhoutan, les Maldives, le Népal et le Sri Lanka. Prise dans son ensemble, la vision de la Russie revient à former la Grande région eurasienne de libre-échange (GEFTA) qui est censée englober la grande majorité de l’Asie et fusionner un jour avec l’Union eurasienne, excluant pour le moment, évidemment, les économies européennes (de l’UE et des États non membres de l’UE), le Moyen-Orient (sauf peut-être la Syrie et Israël [une étrange combinaison bien sûr, mais poursuivie pour des raisons tout à fait distinctes]), les deux Corées et le Japon.


L’obstacle indien ouvre une possibilité pour l’ASEAN

Même en supposant un minimum d’interférences (américaines) externes essayant de compenser la vision de la Russie, il est prévisible que l’Inde présentera un défi majeur pour la mise en œuvre du GEFTA. L’Inde et la Chine sont engagées dans un dilemme de sécurité très intense qu’aucune des deux parties ne veut reconnaître publiquement. Dans ces conditions, il est peu probable que l’une d’elles soit sérieuse sur la poursuite d’un ALE avec l’autre. Du point de vue de New Delhi, l’Inde n’a aucune raison de sacrifier ce qu’elle voit comme ses intérêts économiques nationaux en concluant un ALE avec la Chine, peu importe que ce soit le RCEP ou le GEFTA. Relativement au RCEP, l’Inde a déjà conclu des ALE avec le Japon et la Corée du Sud, et elle ne croit pas que l’inclusion de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande dans le cadre multilatéral proposé compense le déséquilibre économique qu’elle pense subir au travers d’un libre-échange tarifaire avec la Chine, qu’elle devrait accepter dans le cadre de cette transaction. En ce qui concerne le GEFTA, les préoccupations sont très semblables. L’Inde est actuellement dans une relation de libre-échange avec l’ASEAN et pourrait éventuellement en conclure un avec l’Iran, après que ce dernier eut proposé une telle idée au printemps 2015. Avec les progrès tout à fait positifs pour atteindre un accord de libre-échange avec l’Union eurasienne un jour prochain, l’Inde n’a pas besoin de sauter dans le GEFTA, alors qu’elle est tout sauf assurée d’en tirer les avantages demandés via cet accord, en y enlevant les complications prévisibles si l’accord doit inclure aussi la Chine (où son leadership ne voit actuellement aucun avantage).

L’absence attendue de l’Inde au GEFTA ne signifie pas l’échec de la vision, mais elle met en évidence sa dépendance à l’égard de l’inclusion de l’ASEAN pour être géopolitiquement assez étendue pour devenir un point déterminant dans l’économie mondiale. L’Union eurasienne et ses accords bilatéraux de libre-échange sont des développements positifs en eux-mêmes, surtout s’ils débouchent sur une perspective d’ALE entre l’Union eurasienne et la Chine intégrant multi-latéralement les  accords déjà conclus (comme avec l’Iran). Toutefois, la multi-polarité serait infiniment plus forte grâce à l’ajout de l’ASEAN à cet accord. Le Vietnam est déjà partant pour un tel accord avec l’Union eurasienne, et même s’il est un composant robuste du portefeuille de partenariat de l’Union, son potentiel mutuel pâlit de la comparaison avec les deux groupements économiques ayant leur propre pacte inclusif bloc à bloc. L’une des étapes pour faire avancer cette possibilité serait pour la Russie de faire un usage efficace de la SEZ de l’ASEAN (Special Economic Zones) avec le Myanmar, le Laos et le Cambodge afin d’atteindre des ALE individuels avec les autres membres de la partie continentale de l’organisation (y compris la Thaïlande, à laquelle Medvedev a offert cette possibilité au printemps 2015). Ils pourraient alors faire collectivement pression sur leurs homologues insulaires pour aller dans ce sens.


Le TPP contre attaque

La plus grande menace pour les relations économiques du monde multipolaire avec l’ASEAN vient directement du TPP. Les États-Unis font pression avec cet arrangement commercial exclusif, afin de faire obstacle aux partenariats commerciaux existants que les pays non alliés (Russie et Chine) planifient de renforcer auprès de chaque membre du bloc. Dans un sens, le traité peut être considéré comme une déclaration préalable de guerre économique, parce que les États-Unis prennent des mesures actives pour sculpter un marché restreint qui tomberait principalement sous leur contrôle. Washington est pleinement conscient que Moscou envisage un pivot vers l’Asie et comprend qu’il doit être diversifié et intégrer la Chine s’il veut atteindre son plein potentiel économique. En ce qui concerne Pékin, les États-Unis reconnaissent à quel point les obstructions aux relations économiques bilatérales Chine-ASEAN pourraient perturber la Nouvelle Route de la Soie que la Chine espère achever dans les prochaines années. Les États-Unis aimeraient utiliser l’hégémonie économique qu’ils pourraient acquérir sur chacun des membres de l’ASEAN via le TPP afin de les intimider, de les éloigner de ces centres multipolaires et de les ancrer fermement dans le camp unipolaire. Il y a des raisons concrètes de prendre cette menace stratégique au sérieux.


L’AEC

L’ASEAN a franchi une étape historique lors de son 27e sommet, fin novembre 2015 à Kuala Lumpur, en acceptant de former la Communauté économique de l’ASEAN (AEC), afin de coordonner les relations économiques du bloc avec le monde extérieur et renforcer la coopération sociale, culturelle et sécuritaire entre ses membres. Il est prévu que l’AEC cherchera à adopter des accords commerciaux en bloc à partir de ce moment, cherchant éventuellement à élargir le TPP pour y inclure le reste de l’organisation au fil du temps. Le raisonnement est assez simple. L’ASEAN souhaite normaliser les accords commerciaux que ses membres entretiennent avec les pays et les blocs extérieurs, afin de ne pas créer un déséquilibre structurel interne entre ses économies. Si la Malaisie entre dans le TPP, mais que le Vietnam a un ALE avec l’Union eurasienne, on peut imaginer que cela créerait un désavantage pour les Philippines, qui ne disposent pas de liens institutionnalisés avec l’un ou l’autre des blocs. Le méli-mélo des différents acteurs externes, qui interagissent avec l’ASEAN sur une base de membre à membre au lieu de traiter avec tout le groupe, crée une situation interne inutilement complexe, qui rend plus difficile aux divers membres de l’AEC de s’intégrer économiquement les uns aux autres.

Bien que ce ne soit pas la comparaison la plus précise, dans ce cas, il est peu approprié de jumeler l’AEC avec l’Union eurasienne alors que les deux blocs veulent contrôler les relations économiques institutionnalisées de leurs membres avec d’autres États et organisations. Même si cet objectif n’a pas été officiellement proclamé par l’AEC pour l’instant, il est fonctionnellement inévitable qu’il aille dans cette direction, tôt ou tard, une fois que ses membres auront défini plus sérieusement leurs objectifs d’une intégration partagée. Cela signifie que l’AEC aura un jour à déterminer avec quels accords bilatéraux n’incluant pas de bloc elle veut s’étendre, pour couvrir l’ensemble de l’organisation et ceux que ses membres respectifs seront contraints d’abandonner. Il est important de noter à ce stade, que la plupart des membres de l’AEC semblent aller dans la direction du TPP, à en juger du moins par les déclarations émanant des deux meilleurs économies du groupe, l’Indonésie et la Thaïlande. Le Président Joko Widodo a dit à Obama, lors d’une réunion à la Maison Blanche à la fin Octobre que l’«Indonésie a l’intention de se joindre au TPP», tandis que l’un des vice-premiers ministres de la Thaïlande a proclamé à la fin de novembre que son pays «est très intéressé à se joindre au TPP […] il y a de fortes chances que la Thaïlande cherche à rejoindre le TPP».



La Thaïlande et l’Indonésie

La Thaïlande pourrait essayer de s’incliner publiquement face aux États-Unis aussi longtemps que possible, afin de dévier une partie de l’hostilité que beaucoup lui portent à Washington, depuis que le coup d’État multipolaire a évincé les dirigeants pro-américains et que le pays s’est largement réorienté vers la Chine. Il est probable que Bangkok n’ait pas l’intention sincère de se joindre au TPP, ou tout au moins pas à ce stade. En effet, cela mettrait en danger le partenariat stratégique qu’il a rapidement développé avec Pékin au cours de la dernière année et demie (ce sera abordé plus en avant dans la recherche), mais la situation avec l’Indonésie est beaucoup plus simple. À l’insu de la plupart des observateurs, l’Occident a engagé un mini-confinement de toutes sortes de manière contre le pays, afin de faire pression sur ses dirigeants pour prendre des décisions pro-unipolaire au moment opportun. Widodo est déjà reconnu comme  favorable à l’Ouest, mais il est toujours le maître de l’une des plus grandes économies du monde et a un rôle difficile à jouer pour contenir la Chine (comme la voit le dirigeant indonésien) tout en évitant de se soumettre totalement à la suprématie des États-Unis et devenir son dernier état proxy.


Réécriture des règles

Malheureusement, cependant, il semble que l’Indonésie soit sur le point d’utiliser son rôle de leader économique dans l’AEC pour égarer le reste de l’organisation en favorisant son basculement dans la servitude unipolaire. Si Jakarta s’engage vers le TPP, il est prévisible que ce sera le facteur décisif pour savoir si le reste de l’AEC accepte l’offre commerciale défavorable des États-Unis, au détriment de l’amélioration de ses liens avec l’Union eurasienne. En fait, la mise en œuvre du TPP pourrait même conduire à l’annulation éventuelle des ALE de l’ASEAN avec la Chine, portant ainsi un coup double à l’influence institutionnelle du monde multipolaire en Asie du Sud-Est.

À peine les détails ont-ils été connus au sujet du TPP (la fuite d’un texte d’environ deux millions de mots, qui le rend presque impossible à lire pour une seule personne pour bien le comprendre) qu’il a déjà été bien établi que les ajustements juridiques préférentiels à respecter, qui sont prescrits à chaque partie, ne sont qu’un écran de fumée pour permettre aux grandes entreprises d’acquérir des droits politiques décisifs. L’une des controverses ici, est que les entreprises pourraient poursuivre les gouvernements nationaux si les États concernés promulguaient des lois destinées à respecter l’«environnement, la santé ou avoir d’autres objectifs réglementaires» qui nuiraient aux avantages commerciaux légalement inscrits dans ladite organisation ou mettraient en danger ses bénéfices (il n’est même pas nécessaire de provoquer une baisse réelle, sa menace suffit).

Rappelant que le Vietnam participe déjà à un ALE avec l’Union eurasienne et que tous les pays de l’ASEAN ont un arrangement similaire avec la Chine, il est certainement possible que les États-Unis trouvent un prétexte au sein de chacun de ces accords pour faire valoir qu’ils violent le TPP et doivent donc être réécrits ou carrément abandonnés. S’ils ne parviennent pas à résoudre le problème dans le laps de temps donné, alors les entreprises américaines mèneront chacun des États contrevenants devant la cour au nom de Washington, pour faire valoir contre eux un règlement punitif et / ou les forcer à faire les changements dictés. Le Japon, allié des USA, peut également diriger une partie de ses grandes entreprises à faire de même, dans le cadre d’une poussée coordonnée pour maximiser la douleur économique légale infligée à l’État ciblé.


Comment cela pourrait être arrêté

Aussi extrême qu’un tel scénario puisse paraître pour le moment, il se corrèle parfaitement aux objectifs stratégiques des États-Unis de pousser les influences des grandes puissances multipolaires hors de l’Asie du Sud-Est et de thésauriser le potentiel économique de la région pour eux tout seuls. Cela a également des fondements géostratégiques très spécifiques, qui seront décrits dans le chapitre suivant, donnant ainsi une autre motivation aux États-Unis pour avancer dans cette direction. Pour autant que Washington veuille mener à bien cette stratégie, cependant, il n’est pas assuré qu’elle soit couronnée de succès. Il y a toujours une possibilité très réelle d’arrêter ce plan dans son élan, avant même qu’il ne parvienne à pleine maturité.



Le plus grand obstacle au rêve de domination des États-Unis sur l’Asie du Sud-Est via le TPP, c’est le projet chinois de Route de la soie pour l’ASEAN, une ligne ferroviaire à grande vitesse qui devrait relier Kunming à Singapour et traverser le Laos, la Thaïlande, la Malaisie et Singapour. Les deux premiers pays de transit ont le plus à gagner à cette proposition. Ils devraient donc rester les plus loyaux dans la sauvegarde d’un ALE de la Chine avec l’ASEAN, dans le cas où l’AEC tente de le réviser (peut-être sous initiative indonésienne influencée par le TPP). Il y a aussi le Corridor du pipeline Chine-Myanmar qui a été lancé début 2015, pour transférer le pétrole du Moyen-Orient et son gaz vers la province du Yunnan, via une voie géostratégique plus sûre que le détroit de Malacca (ce qui est discutable et sera expliqué plus tard dans le travail), avec un potentiel envisagé d’évoluer vers un corridor commercial à grande échelle. Cela donne théoriquement à Naypyidaw [capitale de la Birmanie, NdT] un intérêt à préserver le statu quo de son ALE institutionnel avec la Chine, bien que cela puisse probablement changer avec le rôle accru de Aung San Suu Kyi sur l’État. Le Cambodge est aussi un proche allié chinois de nos jours. Il n’est pas institutionnellement lié à de grands projets d’infrastructure, ce qui signifie qu’il pourrait être acheté par le plus offrant et n’est donc pas fondamentalement fiable. Par conséquent, les partenaires les plus fiables dont dispose la Chine pour défendre ses intérêts économiques dans l’AEC, sont le Laos et la Thaïlande.

Il est prévisible que les principaux dirigeants de ces deux États ont déjà fait le choix conscient de se lier économiquement de manière plus étroite avec la Chine, en participant au projet de Route de la soie vers l’ASEAN. Pour cette raison, ils ont intérêt à s’assurer que leurs homologues de l’AEC adhérant au TPP n’imposent pas les conditions commerciales unipolaires au reste du bloc et / ou ne contraignent pas les autres à restreindre leurs liens économiques avec la Chine (à la demande des États-Unis, bien sûr). Une scission au sein de l’organisation pourrait alors facilement se produire, les États affiliés au TPP affrontant ceux non alignés, puisque l’AEC lutte pour rationaliser ses engagements économiques institutionnels, dans sa quête d’une coordination et d’une intégration plus grandes entre ses membres. Les frottements prévisibles conduiraient probablement à une impasse bloquant toute révision institutionnelle (ou expansion avec le TPP) politique au sein de l’AEC, empêchant ainsi les États-Unis d’atteindre pleinement leurs objectifs unipolaires sur ce théâtre. Par conséquent, en raison de la position du Laos, de la Thaïlande et, dans une certaine mesure, du Myanmar, les relations économiques hautement stratégiques avec la Chine (les deux premiers faisant partie de  la route de la soie de l’ASEAN et le dernier étant l’hôte du Corridor du Pipeline Chine-Myanmar) se trouvent sur le chemin des États-Unis et de leur dominance unipolaire full-spectrum sur l’ASEAN, ces trois États sont des cibles valides pour une guerre hybride dans le futur.


La perspective mondiale

La guerre économique par procuration en cours entre les camps unipolaire et multipolaire concernant l’ASEAN est d’une immense importance en termes d’impact global. Mais pour vraiment apprécier comment elle est liée au reste du monde, il est essentiel de rappeler au lecteur certains éléments de la grande stratégie américaine contemporaine.

Les États-Unis ont capitalisé depuis la fin de la guerre froide, en exportant leurs pratiques économiques néo-libérales partout dans le monde, avec l’intention ultime de piéger la Russie, la Chine et dans une moindre mesure – toujours pertinente de nos jours – l’Iran, dans un réseau d’institutions contrôlées par Washington, hors duquel il n’y aurait pas d’échappatoire. Il leur a fallu un certain temps pour avancer, mais en ce moment, les États-Unis ne cessent d’aller de l’avant à toute vitesse, en liant les quatre coins de l’Eurasie dans sa matrice de contrôle, et en encerclant de fait ces trois grandes puissances, afin de les rendre de façon disproportionnée dépendantes d’un centre de gravité économique stratégique commun.

Le TTIP / TAFTA, s’il entre en vigueur, placerait les relations économiques extérieures de l’UE sous le contrôle des États-Unis, ce qui signifie que Bruxelles serait impuissant à conclure un ALE ou un accord similaire privilégié avec d’autres pays sans la bénédiction explicite des États-Unis. Si on se rapproche du Moyen-orient, les États-Unis et le CCG travaillent à l’intensification de leurs relations économiques pour préparer un éventuel ALE. Ce n’est pas très important en ce moment, en raison de la dépendance déséquilibrée des économies du Golfe à l’égard des ventes d’énergie, mais un jour, elles devront faire une transition vers une économie plus normale, basée sur le commerce de biens. À ce moment-là, leur situation financière, et les énormes réserves qu’elles ont épargnées, seront redirigées vers l’achat de produits des États-Unis et de tout autre pays susceptible de faire partie d’un ALE avec eux à ce moment là. Le prochain objectif sur lequel les Américains se concentreront est l’ASEAN, qui vient d’être décrit en détail. La dernière partie de la stratégie supercontinentale, c’est la Corée du Sud et le Japon. Les États-Unis ont déjà un ALE avec la Corée, et ils ont l’intention d’utiliser le TPP pour créer le même arrangement avec le Japon.



Tout mis bout à bout, on peut voir clairement que la plupart des points cardinaux en Eurasie sont couverts par les plans d’ALE de l’Amérique. Si on réévalue les plans des États-Unis dans cette perspective, l’UE représente l’Eurasie de l’Ouest, le CCG est l’Eurasie du Sud-Ouest, l’ASEAN, l’Eurasie du Sud-Est, et la Corée du Sud et le Japon, l’Eurasie du Nord. Le seul lien manquant est l’Eurasie du Sud, principalement l’Inde, qui est courtisée en l’état par les États-Unis, même si elle est encore loin de conclure un ALE avec eux. Néanmoins, si les TTIP/TAFTA et TPP devaient entrer pratiquement en vigueur, ce n’est qu’une question de temps avant qu’une offre irrésistible ne soit faite à New Delhi pour câliner l’Inde et la faire intégrer ce tissu économique unipolaire. Même sans une incorporation formelle dans le régime néo-libéral global des États-Unis, il a déjà été dit que l’Inde resterait probablement à l’extérieur du GEFTA en raison des préoccupations pour sa souveraineté stratégique par rapport à son voisinage et à sa rivalité avec la Chine. Dans ce cas, la Russie, la Chine et l’Iran devraient partager le même espace économique stratégique en Asie centrale, l’une des dernières parties du supercontinent restant en dehors du contrôle institutionnalisé formel des États-Unis. Cela ferait de l’Asie centrale le centre de gravité multipolaire incontestable entre ces trois grandes puissances, mais à l’inverse, cela la rendrait particulièrement vulnérable aux guerres hybrides américaines préfabriquées.

Afin d’éviter une ultra-dépendance du type trois pour un en Asie centrale, il est impératif et urgent que le monde multipolaire maintienne et défende ses percées dans l’AEC. D’où l’importance de la lutte contre le TPP et les efforts de la Chine via la Route de la soie de l’ASEAN et le corridor du pipeline Chine-Myanmar. Une retraite sur ces fronts et la cession de l’Asie du Sud-Est aux étreintes unipolaires de l’Amérique pourraient créer une situation stratégique dangereuse pour la Chine et, par extension, les autres grandes puissances multipolaires, avec pour résultat la progression du calendrier états-unien pour l’ancrage de leurs intérêts économiques en Asie centrale. La Chine a également très clairement défini ses intérêts géostratégiques dans le maintien de son influence dans l’ASEAN (ou au moins pour sa composante continentale) afin de mettre un terme à la promotion de la Coalition du confinement chinois par les États-Unis (CCC) et pour maintenir des accès à l’océan Indien non contrôlés par les Américains, afin de lui permettre d’accéder en toute sécurité aux marchés africains en plein essor dont dépend sa croissance future.


Andrew Korybko

Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici

"Je vis comme je peux dans un pays malheureux"

" Le monde a pour égouts, des temps comme les nôtres " 

Victor Hugo


En 1958, deux ans avant sa mort, Albert Camus dressait déjà un tableau triste mais réaliste de la société moderne. Aujourd'hui, à l'heure de l'effondrement final ses paroles ont la résonance d'une prophétie de destinée pour celles et ceux qui sont à la croisée des chemins entre la liberté du loup d'un côté et de l'autre, la servitude du chien.

Ce qui est sûr aujourd'hui c'est que l'une et l'autre de ces deux voies sont parsemées d'inconnues et de souffrance. A nous de décider si nous devons les subir en rampant devant nos maîtres, ou les assumer en combattant cette servitude qui nous déshumanise totalement.

Erwan Castel

"un monde malheureux riche de son peuple et de sa jeunesse, 
provisoirement pauvre dans ses élites"


Ce discours, que l'on considère aujourd'hui comme son "Testament politique" 
fut prononcé par Albert Camus le 22 janvier 1958 
devant des réfugiés espagnols ayant fui le Franquisme.


«J’essaie , en tout cas , solitaire ou non , de faire mon Métier .
Et si je le trouve parfois dur, c’est qu’il s’exerce principalement dans l’assez affreuse société intellectuelle où nous vivons,
où l’on se fait un point d’honneur de la déloyauté
où le réflexe a remplacé la réflexion
où l’on pense à coup de slogan
et où la méchanceté essaie de se faire passer trop souvent pour l’intelligence.
Que faire d’autre alors, sinon se fier à son étoile
et continuer avec entêtement la marche aveugle, hésitante, qui est celle de tout artiste
et qui la justifie quand même, à la seule condition qu’il se fasse une idée juste,à la fois de la grandeur de son métier, et de son infirmité personnelle.

Cela revient souvent à mécontenter tout le monde.
Je ne suis pas de ces amants de la liberté
qui veulent la parer de chaînes redoublées
ni de ces serviteurs de la justice qui pensent qu’on ne sert bien la justice qu’en vouant plusieurs générations à l’injustice.
Je vis comme je peux, dans un monde malheureux
riche de son peuple et de sa jeunesse,
provisoirement pauvre dans ses élites,
lancé à la recherche d’un ordre et d’une renaissance à laquelle je crois.
Sans liberté vraie, et sans un certain honneur, je ne puis vivre.
Voilà l’idée que je me fais de mon métier.»

Discours d'Albert Camus le 22 janvier 1958

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Albert Camus 


« Fils de Lucien Camus  ouvrier agricole mort pendant la Grande Guerre et de Catherine Sintes, jeune servante d’origine espagnole, Albert Camus né en 1913  à Mondovie, grandit à Alger où il fait des études de philosophie.Il entame alors une carrière de journaliste et écrit pour Alger Républicain où ses articles le font remarquer.

Il part ensuite pour Paris  et est engagé par Paris soir. Dans les mêmes années, il publie L’Etranger un roman qui arrivera en tête du classement des cent meilleurs livres du XXème  siècle en 1999.En 1936, il fonde le Théâtre du Travail et écrit avec trois amis Révolte dans les Asturies, une pièce qui sera interdite.

Lorsque débute la Seconde Guerre mondiale, il intègre un mouvement de résistance à Paris, tout comme Jean-Paul Sartre, avec lequel il se lie d’amitié. Il devient ensuite rédacteur en chef du journal Combat à la Libération. C’est dans ce journal que paraît un éditorial écrit par Camus et resté célèbre, dans lequel il dénonce l’utilisation de la bombe atomique par les Etats-Unis.

La Peste est publiée en 1947 et connaît un très grand succès. Son oeuvre articulée autour des thèmes de l’absurde et de la révolte est indissociable de ses prises de position publiquesconcernant le franquisme, le communisme, le drame algérien…

Il obtient le prix Nobel de littérature en 1957 pour l’ensemble d’une oeuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes.Trois ans plus tard, le 4 janvier 1960, il meurt tragiquement dans un accident de voiture. »

Source : Evene.fr