jeudi 9 juin 2016

Au Brésil, la résistance s'organise...

Le Brésil, ce géant au pied d'argile...

L'opération qui a provoqué la destitution de Dilma Roussef, Présidente du Brésil sent la magouille à plein nez et les affaires de corruptions qui entoure la nouvelle équipe au pouvoir semblent confirmer de jour en jour la thèse d'un coup d'Etat visant à protéger des intérêts financiers et une ingérence internationale dans ce pays aux enjeux fabuleux...

Sans pour autant systématiquement plébisciter Dilma Roussef qui est également critiquée sur de nombreux volets de sa gestion, de plus en plus de brésiliens prennent cependant sa défense et refusent ce changement de pouvoir brutal et qui leur impose un nouvelle direction sans leur demander leur avis électoral.. 

Voici 2 articles de Du Courrier précédé d'1 article de Philippe Hua qui dévoilent les dessous de ce changement de pouvoir si peu commenté en Europe qu'il en devient par là également suspect...

Erwan Castel
Pour lire les autres articles sur le sujet publiés ici , le lien : Brésil

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Brésil, nouveau séisme politique : 
Les preuves du complot contre Dilma Roussef découvertes


6 juin 2016, Philippe Hua

Aujourd’hui, le Brésil s’est réveillé aux bruits de conversations secrètes et vraiment choquantes, impliquant un ministre clé dans le gouvernement nouvellement installé au Brésil, qui éclairent d’un jour nouveau les motifs des participants à la mise en accusation de la présidente démocratiquement élue du pays, Dilma Rousseff.

Les transcriptions de ces conversations ont été publiées par le plus grand journal du pays, Folha de São Paulo, et révèlent des conversations secrètes qui ont eu lieu en mars, quelques semaines avant le vote de destitution de la chambre basse. Elles mettent en lumière un complot explicite entre le nouveau ministre de la Planification (alors sénateur), Romero Juca, et l’ancien dirigeant de la compagnie pétrolière, Sergio Machado – qui sont tous deux des suspects officiels dans l’enquête de corruption dite Car Wash. Ils tombent d’accord, lors de cette discussion secrète, sur le fait que la destitution de Dilma est le seul moyen de mettre fin à l’enquête de corruption qui les touche. Les conversations portent également sur le rôle important joué, dans l’élimination de Dilma, par les institutions nationales les plus puissantes, y compris – le plus important – les chefs militaires brésiliens.

Ces transcriptions sont remplies de déclarations profondément incriminantes sur les objectifs réels de la mise en accusation, et qui était derrière elle. Le point crucial de ce complot est ce que Juca appelle «un pacte national» – impliquant l’ensemble des institutions les plus puissantes du Brésil – pour laisser Michel Temer en place en tant que président (malgré ses multiples scandales de corruption) et pour étouffer l’enquête de corruption, une fois Dilma destituée. Selon les mots rapportés par le journal Folha, Juca explique clairement que la mise en accusation va «mettre fin à la pression des médias et d’autres secteurs pour poursuivre l’enquête Car Wash». Juca est le chef du parti – PMDB – de Temer et l’un des trois plus proches confidents du président par intérim.

On ne sait pas qui est responsable de l’enregistrement et de la fuite de cette conversation de 75 minutes, mais Folha rapporte que les fichiers sont actuellement entre les mains du procureur général. Les prochaines heures et jours verront probablement des révélations supplémentaires qui éclaireront différemment les implications et la signification de ces transcriptions.

Les transcriptions contiennent deux révélations extraordinaires qui devraient conduire tous les médias à envisager sérieusement d’utiliser le mot coup d’État pour qualifier ce qui s’est passé au Brésil, un terme que Dilma et ses partisans ont utilisé pendant des mois. Lors de cette discussion au sujet du complot pour destituer Dilma comme moyen de mettre fin à l’enquête Car Wash, Juca a précisé que l’armée brésilienne soutient une telle décision :

«J’ai parlé aux généraux, aux commandants militaires. Ils sont d’accord avec nous, ils ont dit qu’ils allaient le soutenir.» Il a également dit que l’armée «surveille le Mouvement des Travailleurs sans Terre» (Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra, ou MST), le mouvement social des travailleurs ruraux qui soutient les efforts du Parti des Travailleurs sur la réforme agraire et la réduction des inégalités et qui a mené les manifestations contre la destitution de Rousseff.

La deuxième révélation fracassante – peut-être la plus importante – est lorsque Juca déclare qu’il a contacté et obtenu le soutien de nombreux juges de la Cour suprême du Brésil, l’institution dont les défenseurs de la destitution ont souligné qu’elle leur donnait la légitimité nécessaire pour nier que Dilma était victime d’un coup d’État. Juca a affirmé qu’«il y a seulement un petit nombre» de juges de la Cour suprême qu’il n’a pas pu contacter (le seul juge qu’il n’a pas pu finalement contacter est Teori Zavascki, qui avait été nommé par Dilma et qui – justement – est considéré par Juca comme incorruptible, pour obtenir son aide afin d’étouffer l’enquête (une ironie fatidique est que Dilma a voulu protéger l’enquête Car Wash de l’ingérence de ceux qui veulent l’attaquer). Les transcriptions le montrent aussi disant que «la presse aussi veut la destituer [Dilma]» et «cette merde ne cessera jamais» – en voulant parler des enquêtes sur la corruption – avant qu’elle n’ait débarrassé le plancher.

Les transcriptions fournissent une preuve de tous les soupçons et accusations que les partisans de Dilma ont longtemps exprimés au sujet de ceux qui complotaient pour la destituer. Pendant des mois, les partisans de la démocratie brésilienne ont présenté deux arguments au sujet de la tentative de destitution de la présidente, démocratiquement élue, du pays :

1-a)  l’objectif principal de la mise en accusation de Dilma n’est pas d’arrêter la corruption ou de punir la délinquance, mais plutôt l’exact opposé : protéger les véritables voleurs en leur donnant les moyens de virer Dilma, leur permettant ainsi d’étouffer l’enquête Car Wash; et

2-a)  les partisans de la destitution (dirigée par les médias oligarchiques du pays) n’ont aucun intérêt à un gouvernement propre, mais sont seulement intéressés par la prise du pouvoir, qu’ils ne pourraient jamais obtenir démocratiquement, afin d’imposer une aile droite et un programme aux ordres des oligarques, que la population brésilienne n’accepterait jamais par un vote démocratique. 

Les deux premières semaines du gouvernement nouvellement installé de Temer, ont fourni des preuves abondantes pour ces deux hypothèses. Il a nommé plusieurs ministres directement impliqués dans des scandales de corruption. Un allié clé à la Chambre basse, qui dirigera la coalition de son gouvernement – André Moura – est l’un des politiciens les plus corrompus du pays, la cible de multiples enquêtes criminelles en cours, non seulement pour corruption mais même pour tentative d’homicide. Temer lui aussi est profondément empêtré dans la corruption (il fait face à huit ans d’inéligibilité) et se précipite pour mettre en œuvre une série de changements radicaux vers l’extrême-droite que les Brésiliens ne permettraient jamais démocratiquement, y compris des mesures comme celles détaillées par The Guardian : «Adoucir la définition de l’esclavage, réduire les surfaces de terres autochtones, réduire les programmes de construction de logements et vendre les biens de l’État dont les aéroports, des services publics et les bureaux de poste.»

Mais, à la différence des événements des deux dernières semaines, ces transcriptions ne sont pas simplement des indices ou des signes. Elles sont des preuves : preuves que les forces principales derrière la révocation de la présidente ont compris que la renverser était le seul moyen de protéger leur propre corruption ; la preuve que l’armée brésilienne, les médias dominants et la Cour suprême ont été de connivence dans le complot pour destituer la présidente démocratiquement élue ; preuve que les auteurs de la mise en accusation ont vu la présence continue de Dilma à Brasília comme le garant que les enquêtes Car Wash continueraient; preuve que cela n’a rien à voir avec la préservation de la démocratie brésilienne et tout à voir avec sa destruction.

Pour sa part, Juca admet que ces transcriptions sont authentiques, mais insiste sur le fait que ses commentaires ont été mal interprétés et mis hors contexte, les qualifiant de «banals». «Cette conversation n’a rien à voir avec un pacte contre Car Wash. Son sujet est l’économie, comment sortir le Brésil de la crise», a-t-il affirmé dans une interview, ce matin, avec le blogueur politique Fernando Rodrigues. Cette explication n’est pas plausible, étant donné ce qu’il a réellement dit, ainsi que la nature explicitement conspiratrice de ces conversations, dans lesquelles Juca insiste sur une série de rencontres en tête à tête, plutôt que des rencontres groupées, cela pour éviter d’attirer les soupçons. Des dirigeants politiques réclament déjà sa démission du gouvernement.

Depuis l’installation de Temer en tant que président, le Brésil a connu de fortes manifestations, et de plus en plus nombreuses, contre lui. Les médias brésiliens – qui ont désespérément essayé de le glorifier – se sont, comme par hasard, abstenus de publier les résultats des sondages pendant plusieurs semaines, mais les derniers montrent qu’il n’a que 2% de soutien populaire et que 60 % veulent le voir destitué. Les derniers sondages publiés ont montré que 66 % des Brésiliens pensent que  les législateurs ont voté pour la destitution seulement par intérêt personnel – une croyance que ces transcriptions valident – alors que seulement 23 % croient qu’ils l’ont fait pour le bien du pays. Hier soir, à São Paulo, la police a été contrainte de barricader la rue où se situe la maison de Temer, en raison des milliers de manifestants s’y dirigeant;  elle a fini par utiliser les lances à eau et les gaz lacrymogènes. L’annonce de la dissolution du ministère de la Culture a poussé des artistes et d’autres personnes à occuper des bureaux [De ce ministère, NdT] à travers le pays en signe de protestation, ce qui a forcé Temer à revenir sur sa décision.

Jusqu’à présent, The Intercept, comme la plupart des médias internationaux, avait renoncé à utiliser le mot coup d’État, même s’il a été profondément critique envers la destitution de Dilma, considérant celle-ci comme anti-démocratique. Ces transcriptions obligent à un réexamen de cette décision éditoriale, en particulier si aucune preuve n’émerge, remettant en question soit le sens le plus raisonnable des déclarations de Juca, soit son niveau de connaissance. Ce complot nouvellement révélé est exactement ce à quoi ressemble un coup d’État, les même sons et les même odeurs : obtenir la coopération de l’armée et des institutions les plus puissantes, pour éliminer un dirigeant démocratiquement élu, pour des motifs égoïstes, corrompus et sans foi ni loi, pour ensuite imposer un agenda planifié par l’oligarchie, que la population rejette.

Si la destitution de Dilma reste inévitable, comme beaucoup le croient, ces transcriptions rendront beaucoup plus difficile à Temer de rester en place. Les données récentes du scrutin montrent que 62% des Brésiliens veulent de nouvelles élections présidentielles. Cette option – l’option démocratique – est celle que les élites brésiliennes craignent le plus, parce qu’ils sont pétrifiés (avec raison) par le fait que Lula ou un autre candidat qu’ils détestent (Marina Silva) va gagner. Mais c’est le sujet : si ce qui est renversé et brisé au Brésil est la démocratie, alors il est temps de commencer à utiliser le mot appropriée pour le décrire. Avec ces transcriptions, il sera de plus en plus difficile pour les médias d’éviter de le faire

Glenn Greenwald


Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone

La source originale de cet article est theintercept.com

Copyright © Glenn Greenwald, theintercept.com, 2016

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Source, le lien ici : Le Courrier.ch

Dilma Rousseff, victime d’un complot des corrompus?

Mercredi 25 mai 2016 Benito Perez 

Michel Temer et Dilma Rousseff, en décembre 2015.

Un ministre du nouveau gouvernement Temer a été enregistré alors qu’il prônait la destitution de la présidente.

Le renversement du gouvernement de Dilma Rousseff avait-il pour but de stopper les enquêtes sur les affaires de corruption? L’hypothèse évoquée jusque-là à demi-mot a été accréditée lundi par la publication d’écoutes dans le quotidien Folha de Sao Paulo. Dans cet enregistrement datant de mars, le futur ministre de la Planification, Romero Juca, évoque avec Sergio Machado, ex-président de la compagnie pétrolière Transpetro, lui-même soupçonné de corruption, la nécessité de stopper les enquêtes sur le scandale Petrobras et plaide la nécessaire destitution de la présidente. Ministre clé du gouvernement de Michel Temer, institué il y a treize jours, M. Juca a démissionné mardi.


«Il faut résoudre toute cette merde»

«L’impeachment est nécessaire. Il n’y a pas d’autre issue. Il faut résoudre toute cette merde. Il faut changer de gouvernement pour stopper l’hémorragie.» Les propos relayés lundi par le journal paoliste ont fait l’effet d’une bombe. Ils ont été prononcés par M. Juca lors d’un rendez-vous à son domicile avec Sergio Machado. Lui-même sous enquête, l’ex-dirigeant de Transpetro a semble-t-il enregistré la conversation à l’insu de son collègue de parti, afin de négocier une remise de peine avec la justice.

S’il reconnaît l’authenticité de la conversation, Romero Juca estime que ses propos ont été tronqués. Par «hémorragie», il se référait à la crise économique et non à l’enquête Petrobras, affirme-t-il. Or aucun des extraits de sa conversation publiés par Folha ne se réfère à la situation économique. Il n’y est question que de l’inquiétude des deux interlocuteurs face à l’avancée inexorable de l’enquête Petrobras. Une procédure qui éclabousse une grande partie de l’élite politique brésilienne.

«Il faut un accord, mettre Michel (Temer ndlr) au pouvoir, un grand accord national», y déclare M. Machado. Un accord «avec le tribunal suprême, et tout le monde», abonde M. Juca, s’inquiétant à son tour de l’action des enquêteurs: «Ils veulent en finir avec la classe politique, pour faire émerger une nouvelle caste pure.»


Freiner l'enquête Petrobras

Ce dialogue «démontre la véritable raison du coup pratiqué contre la démocratie et contre le mandat légitime de Dilma Rousseff. L’objectif est de freiner l’enquête Petrobras et de la mettre sous le tapis», a réagi l’ancien ministre de gauche Ricardo Berzoini, sur la page Facebook de la présidente suspendue.

Accusée de maquillages des comptes publics, mais pas de corruption, Mme Rousseff a été écartée de la présidence le 12 mai pour un maximum de six mois par le Sénat, dans le cadre d’une procédure de destitution, en attendant le jugement final des sénateurs. Le sénateur Romero Juca a été l’un des principaux articulateurs politiques de cette procédure de destitution, dénoncée par Mme Rousseff comme un «coup d’Etat» institutionnel ourdi par le vice-président Temer.

M. Juca est l’un des hommes de confiance de Michel Temer, 75 ans. Il a assumé récemment à sa place la présidence du grand parti centriste PMDB qui a claqué, fin mars, la porte de la coalition gouvernementale en place depuis 2003. Le PMDB est éclaboussé au plus haut niveau par le scandale Petrobras, au même titre que le Parti des travailleurs (PT, gauche) de Mme Rousseff. Son gouvernement dit de «salut national» compte sept ministres visés par des enquêtes judiciaires sur vingt-trois. Avec l’ATS


Le ministre Fabiano Silveira, chargé de la lutte contre la corruption par le président par intérim Michel Temer depuis sa prise de fonctions le 12 mai, a envoyé une lettre de démission, selon un communiqué publié par le palais présidentiel. Son remplaçant n’a pas encore été désigné. La semaine dernière, Romero Juca, le président du Sénat nommé ministre de la planification dans le gouvernement ...

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Source, le lien ici : Le Courrier.ch

Le coup d’Etat ne passe pas
Lundi 06 juin 2016 - Christophe Koessler

Michel Temer (ici avec Dilma Roussef en 2010) a supprimé le Ministère des 
femmes, de l’égalité raciale et des Droits humains, ainsi que celui de la Culture.

La brusque mise à l'écart du gouvernement de Dilma Rousseff, le 12 mai dernier, pousse les syndicats à préparer une grève générale pour septembre.

Le Brésil vit un moment clé de son histoire depuis le 12 mai dernier. La suspension de la présidente Dilma Roussef dans le cadre d'une procédure de destitution, qualifiée de coup d'Etat par l'ensemble de la gauche, a conduit à la formation d'un gouvernement ultraconservateur. Celui-ci n'a pas hésité à prendre une série de mesures antisociales qui vont à l'encontre du mandat qui a été confié en 2014 à la protégée de l'ex-président Inacio Lula Da Silva.

La présidente n'est toutefois pas (encore) destituée. La principale faitière syndicale brésilienne, la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), appelle à une grève générale à partir de septembre pour renverser la vapeur et, à terme, obtenir la tenue d'une assemblée constituante pour refonder le pays. Le point avec Antonio De Lisboa Amancio Vale, secrétaire chargé des relations internationales de la CUT et membre du conseil d'administration de l'Organisation internationale du travail.


Pour vous, il s'agit bien d'un coup d'Etat, pourquoi?

Antonio De Lisboa Amancio Vale: Oui c'est un putsch. Celui-ci est, bien sûr, d'une autre nature que les coups d'Etat traditionnels qui ont eu lieu, par le passé, en Amérique latine parce que l'armée n'y a pas été mêlée. Mais la Constitution a été violée.

Au Brésil, pour pouvoir destituer un président, il faut que celui-ci ait commis «un crime de responsabilité». Or, il est clair que Dilma Roussef ne s'est pas rendue coupable d'un tel délit. Il lui a été reproché, en revanche, d'avoir procédé à des paiements anticipés («pedaladas fiscais»). Prenons un exemple: lorsque le gouvernement avait besoin de procéder à des paiements pour son programme «bolsa escola» – des subventions aux familles pauvres pour que leurs enfants puissent se rendre à ­l'école – et qu'il n'avait pas, sur le moment, les liquidités pour le faire, il recourait en sous-mains aux banques publiques qui avançaient l'argent (constituant ainsi un maquillage financier, ndlr).

C'était une pratique commune de nombreux gouvernements précédents. Sur vingt-sept présidents brésiliens, dix-huit ont eu recours à ce mécanisme, dont les deux derniers chefs d'Etat. Mais cela a été utilisé comme prétexte pour virer Dilma Rousseff.


Quels étaient les véritables motifs de ce putsch?

Ce coup d'Etat a trois causes principales. La première est d'ordre géopolitique. Le putsch a été clairement orchestré par les Etats-Unis pour reprendre le contrôle de l'Amérique latine, conquise en bonne partie par des mouvements progressistes faisant de l'ombre à l'hégémonie américaine. La seconde cause est, bien sûr, économique: les nouvelles réserves pétrolières, récemment découvertes au Brésil, représentent l'équivalent de 9000 milliards de dollars. La loi prévue pour exploiter ces hydrocarbures voulait que Petrobras, la compagnie d'Etat nationale, ait le monopole sur l'exploration. Qu'a fait le Sénat immédiatement après le coup d'Etat? Voter une nouvelle loi pour ouvrir le marché de l'exploration aux multinationales.

Certains pensent que le coup d'Etat a été mené pour sauver la mise des dignitaires accusés de corruption dans l'affaire Petrobras...

C'est la troisième raison: les intérêts directs des élites locales étaient menacés. Au Brésil, la classe des possédants est l'héritière, directement ou indirectement, de l'esclavage qui n'a été interdit qu'il y a cent-vingt ans dans notre pays. Cette élite est l'une des pires du monde. Elle rejette tout type d'action qui réduit les inégalités, telles que celles menées par les gouvernements que dirigeait le Parti des travailleurs (PT) depuis 2003.

Alors, lorsque la justice et la police ont commencé à enquêter sur les méandres de la corruption – et pas seulement sur le scandale de Petrobras –, les membres de cette élite ont pris peur. Et ils ont également décidé de freiner le processus vers la transparence engagé par les autorités.

Plusieurs des nouveaux ministres, qui sont tous des hommes blancs, et en majorité d'un certain âge sont accusés de corruption...

Huit des vingt-trois nouveaux ministres sont même inculpés par la justice dans le cadre du scandale des détournements de fonds de Petrobras. Deux de ces vingt-trois messieurs ont déjà dû démissionner en raison d'écoutes téléphoniques. L'un avait suggéré de renverser Dilma Roussef pour que cessent les enquêtes de la justice dans cette affaire. L'autre, à la tête du «Ministère de la transparence», créé spécialement par Temer à la mi-mai, avait conseillé le président du Sénat sur la manière d'échapper aux juges. Ce ministère avait pour but d'en finir avec l'indépendance de l'organe de contrôle de l'Etat, la Controladoria geral da Uniao, dont la mission était, entre autres, de lutter contre la corruption.


Quels ont été les réactions des travailleurs face aux derniers évènements?

Tout d'abord la perplexité. Mais la population commence à se rendre compte de ce qu'il se passe. Il y a déjà des manifestations tous les jours au Brésil. A peine au pouvoir, le gouvernement a multiplié les attaques contre les droits sociaux. Il a d'abord sabré dans un fonds social pour l'éducation. Les professeurs et les étudiants sont dans la rue. Michel Temer a aussi supprimé le Ministère des femmes, de l'égalité raciale et des droits humains, ainsi que celui de la culture. Les femmes, les artistes et les intellectuels sont sortis manifester par dizaines de milliers, avec pour mot d'ordre «fora Temer!» (Temer dehors!).

Les nouveaux ministres s'en sont aussi pris aux quilombolas, ces communautés d'afro-descendants qui ont été formées, il y a plus de cent ans, par des esclaves fugitifs. Le processus de régularisation de leurs terres a été suspendu. Eux aussi se mobilisent actuellement.

Ailleurs encore, les sympathisants du mouvement des sans toits à Sao Paolo sont sortis dans les rues de la capitale, la semaine passée, car l'Etat a suspendu les subventions au programme «Ma maison, ma vie», qui permet aux plus pauvres d'accéder à un logement (trois millions de maisons et appartements ont été créés ainsi depuis 2003). Enfin, les retraités modestes protestent parce que l'indexation de leurs rentes sur la base de l'évolution du salaire minimum est passée à la trappe. Toutes ces personnes se rendent bien compte qu'il s'agit là du résultat du coup d'Etat.


Face à cette situation, quelle a été la posture de votre faitière syndicale, la CUT?

Certains proposent des élections anticipées pour résoudre la crise actuelle. Nous sommes contre. Car, pour modifier le rapport de force actuel, nous avons besoin d'une réforme politique structurelle, doublée d'élections générales, tant législatives – aux niveaux national et régional –, que présidentielles. Le Congrès actuel est acquis à la cause de ce nouveau gouvernement putschiste. Nous demandons une assemblée constituante qui permette une refondation politique et une modification des règles de financement actuelles des campagnes électorales, qui faussent le jeu démocratique et favorisent la corruption.

Nous préparons une grève générale pour le mois de septembre. C'est un défi de taille car le Brésil n'en a jamais connu. Le premier objectif est d'obtenir du Sénat qu'il n'approuve pas la destitution de Dilma Rousseff au mois de novembre, comme le prévoit le calendrier. Certains sénateurs qui avaient voté l'entrée en matière sur la destitution ont déjà fait savoir qu'ils ne voteront pas la destitution. Et il leur faut deux tiers des voix pour se débarrasser définitivement de la présidente.


Le prix des omissions de Lula et Dilma

Pensez-vous que le peuple va se mobiliser pour le retour de Dilma Rousseff alors même que le mécontentement vis-à-vis de sa gestion du pays était très fort dans l’opinion?

Nous avions nous-mêmes des critiques très dures envers la politique économique du gouvernement. Nous ne demandons pas seulement qu’elle revienne aux affaires mais qu’elle applique les propositions pour lesquelles elle a été réélue en 2014: renforcer les programmes sociaux et augmenter les investissements grâce à de nouveaux crédits. Au lieu de les mettre en œuvre au début de son second mandat, elle a, au contraire, mené une politique d’austérité qui a eu pour résultat d’accroître encore le chômage et la précarité. Cela a généré une grande insatisfaction vis-à-vis de son gouvernement. En 2015, nous avions organisé plusieurs manifestations contre cette politique économique et sociale.

Quelles ont été, pour vous, les principales erreurs des gouvernements de Lula et de Dilma qui ont conduit à la situation actuelle...

Quand Lula a accédé à la présidence, il a choisi ses priorités: le combat contre la pauvreté, et les inégalités sociales. Cette politique a été un succès: plus de 30 millions de personnes sont sorties de la misère. Mais le gouvernement ne s’est pas attelé à une transformation structurelle du pays: il aurait pu le faire à travers des réformes en profondeur du système politique, judiciaire et fiscal, ainsi que par une démocratisation des moyens de communication – qui sont aux mains de sept grandes familles. Au Brésil les impôts sont dégressifs: si vous gagnez l’équivalent de deux salaires minimaux (ce qui est encore un revenu très bas), vous paierez 50% d’impôts directs et indirects, si vous êtes riche vous ne paierez rien.

Quel rôle a joué la crise économique qui affecte le pays depuis plusieurs années?

La politique sociale des gouvernements Lula et Dilma ont fonctionné tant que la croissance était au rendez-vous. Mais avec une économie qui stagne depuis quelques années, le pouvoir d’achat a baissé et le mécontentement a connu des sommets. Et c’est là que le système politique et médiatique, demeuré intact, a joué à plein pour renverser le gouvernement et en finir avec cette politique. Le thème de la corruption, qui touche l’ensemble de la clase politique, a été habilement utilisé par les plus corrompus, pour canaliser la colère contre le gouvernement de Dilma Rousseff qui, elle-même, n’a jamais été accusée de corruption. CKR

 Le Courrier

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